Golfe Persique : face aux Iraniens, dans le Chatt-al-Arab, les Arabes chiites du sud irakien ; un peuple inconnu. Douze mille kilomètres carrés de marécages au nord de Bassora, là où le Tigre et l’Euphrate se rejoignent. Au plus profond de la nuit des temps, avant le déluge, vivaient ici des tribus de chasseurs et de pêcheurs. Tels ils étaient, tels ils sont encore. Ces Maadans ont côtoyé les grandes civilisations de Sumer et de Babylone. VIIème siècle : le message prophétique de l’Islam. Les hommes réfugiés dans les marais affrontent dans leurs fortins de torchis les irrésistibles Arabes venus du désert. L’Islam étant jugé un privilège de la race, les conquérants se sont d’abord refusés à convertir les vaincus, nommés par eux Mawalis. En 631, les Maadans se convertissent au chiisme pour mieux se révolter contre l’ordre établi, tout en se voulant “Arabes”. Wilfred Thesiger, l’un des plus grands explorateurs de ce siècle, a vécu dans l’intimité de ce peuple de fin 1951 jusqu’à 1958. Aristocrate oxonien, Thesiger a toujours fui l’Europe. Dans le dédoublement d’une personnalité complexe, il s’est découvert, au cours d’une existence austère qu’il s’est choisie, une fraternité virile avec le peuple arabe. On connaît sa traversée historique du grand désert du sud de l’Arabie, relatée dans Le Désert des déserts publié par Terre Humaine. Thesiger, exceptionnel témoin, nous fait vivre avec des hommes d’un autre âge, stoïques, fatalistes et méprisant l’argent. On participe à de véritables vendettas, mais aussi aux rites mortuaires, aux mariages, aux circoncisions pratiquées par l’auteur lui-même. On rencontre les “mustarjils”, vraies amazones – nées femmes, mais se voulant hommes -, les danseurs homosexuels. Mais, à partir de 1955, les riches champs pétrolifères de Bassora sont activement exploités. Comme tant d’autres, cette civilisation millénaire ne résiste pas au “progrès”…L’une des sociétés les plus singulières de l’histoire arabe s’avance à grands pas vers sa ruine.